Le serment d'Hippocrate a-t-il encore un sens ?

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Pendant longtemps, le travail des médecins à l'hôpital a consisté à soigner les malades de leur mieux, à faire comme le stipule le serment d'Hippocrate, de l'enseignement pour les jeunes médecins et soignants, et un peu de recherche lorsqu’ils avaient du temps disponibles. Depuis les années 2000, les choses ont bien changées en Europe. On a arrêté de parler de malades, pour ne plus penser qu'en termes d'activité, d'objectifs, d'efficience et d'indices de performance. L’hôpital public accueille chaque jour des milliers de patients en Belgique et jusqu’à 200 000 personnes en France et les européens témoignent de l’attachement qu’ils  portent à l’hôpital public et de l’image positive qu’ils lui attribuent. Alors d’où vient ce malaise persistant qui, au fil des ans, persiste et continue de s’exprimer à intervalle aussi régulier en Europe ? N’est-il pas temps de s’interroger collectivement sur ce qu’est le soin, à une période où la situation économique est difficile, et que le poids des dépenses de santé pèse lourd avec plus de 11% du PIB en moyenne ?

Depuis ses origines, le système connaît une contradiction structurelle entre un financement public et une distribution de soins en partie privée : la médecine libérale. Cette contradiction a explosé sous le double effet d’un manque de recettes de la Sécurité sociale et d’une expansion des dépenses liée au vieillissement de la population et aux progrès de la médecine. Et à en croire certains, la dernière étape après l’hôpital entreprise serait d’autoriser l’hôpital à entrer en bourse pour pouvoir, grâce à l’argent des actionnaires, recapitaliser pour investir.

Pour certains, l’hôpital est une entreprise comme les autres et pour d’autres, un système holistique complexe. Le Président français disait en 2007, que le directeur de l’hôpital devait être un patron reconnu. Cette révolution managériale passe en premier lieu par la fin des déficits chroniques des hôpitaux. En effet, près d’un hôpital sur deux est globalement dans le rouge. Un retour à l’équilibre dépendra surtout d’une meilleure répartition des activités entre les établissements et donc d’une meilleure organisation territoriale. Et La mise en place d’une tarification de l’activité est une bonne chose si les hôpitaux sont suffisamment financés par l’assurance maladie, mais faire de l’hôpital, un centre capitalistique est un non sens.

Les médecins défendent l’idée d’une différenciation des carrières de praticien hospitalier, au travers de véritables contrats, délimités dans le temps, établis en toute transparence sur des objectifs individuels et précis, en regard de moyens alloués. Alors qu’un médecin est aujourd’hui écartelé entre de multiples taches pour lesquels il n’est pas toujours formé, ni compétent car la pédagogie bien faite demande des compétences, la recherche aussi, l’administration aussi et le management d’une équipe aussi. Autre mission : la formation initiale et continue de l’ensemble des soignants du pays, pas seulement la formation des élèves infirmières et infirmiers, et des étudiants en médecine, mais aussi celle des jeunes médecins et chirurgiens qui y acquièrent leur expertise avant d’exercer en ville ou en clinique privée. Enfin, contrairement aux cliniques privées, ils participent activement à la recherche. Pour ces missions de service public, il est prévu des enveloppes budgétaires distinctes. Mais séparer les soins des missions de service public est artificiel car ils sont le plus souvent intégrés.

« L’Hôpital entreprise » ne fait et de loin, pas l’unanimité car les médecins sont placés au centre d’un conflit éthique. D’un côté, ils doivent assurer à chaque patient le soin optimal et de l’autre, ils reçoivent pour mission la rentabilité, condition du maintien de leur activité. Le « bon soin » demande du temps, un temps incompressible, parce que le « bon soin » est un travail d’équipes pluridisciplinaires où chacun trouve sa place ce qui demande encore du temps et ne rentre dans aucune comptabilité, parce que le « bon soin » demande des soignants motivés et disponibles ce qui est difficile à mesurer et en plus variable dans le temps, parce que le « bon soin » demande une organisation centrée sur les besoins des malades ce qui est bien difficile au regard des exigences du personnel soignant et au regard des autres fonctions recherche et enseignement qui ont leur propre exigence, parce que le « bon soin » devrait être le critère de mesure que nous ne savons pas mettre en équation économique.

Aujourd’hui le soin à l’hôpital est dilué dans de multiples autres enjeux. Enfin il semble nécessaire de se dire que l’hôpital est et doit rester un lieu d’interface entre le médical et le social et qu’il faut traiter les deux aspects de façon indissociable et au même niveau d’exigence et d’excellence… Au fond, « l’hôpital public nous renvoie une image de notre société, cloisonnée, un peu lasse, inquiète face à la maladie, traversée de bonnes intentions qui n’aboutissent pas, où le travail de fond est peu valorisé et où l’économique est prégnant ». L’hôpital public n’est pas une entreprise comme une autre, il ne peut être bradé… il est de fait aujourd’hui un des éléments essentiels de notre lien social. Ces choix sont publiquement justifiés par la nécessaire « adaptation à la modernité » à laquelle feraient obstacle le « corporatisme syndical » et le « pouvoir médical hospitalier réactionnaire ». De concert, ils entraveraient la collaboration entre les services, la mobilité et la polyvalence des professionnels « accrochés » à leurs statuts, l’absence de consultations à des horaires pratiques pour la population, la difficulté de joindre par téléphone les services et les médecins, la longueur des délais pour recevoir les comptes rendus d’hospitalisation... Même si toutes ces critiques sont vécues comme autant d’agressions par ceux qui se dévouent au service des patients, il faut reconnaître les problèmes chroniques de l’hôpital et y remédier avant que le système ne s’effondre et que le sens historique du serment d'Hippocrate perde à tout jamais son sens originel.

MP

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