Le Spectre de la Crise de 1929

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Née aux Etats-Unis, la crise du subprime s’est diffusée à l’ensemble du système financier mondial, touchant notamment plusieurs banques suisses, allemandes, françaises et britanniques. Au Royaume-Uni, les manifestations de la crise sont protéiformes. Tout d’abord, plusieurs banques britanniques sont directement exposées au risque

de contrepartie sur le marché de l’immobilier résidentiel américain. C’est notamment le cas de Barclays et de HSBC à travers leurs filiales situées aux Etats-Unis. A titre d’illustration, HSBC a enregistré 6 milliards de livres de pertes liées aux subprime dans ses activités en banque de détail aux Etats-Unis en 2007.

Les banques britanniques sont également exposées, de manière indirecte, au risque de crédit sur les actifs financiers adossés à des prêts hypothécaires résidentiels américains (US RMBS, Residential Mortgage Backed Securities). Via leur banque de financement et d’investissement, elles ont titrisé des actifs (ABS, Asset Backed Securities) afin de structurer et distribuer des produits financiers complexes auprès de leurs clients. En outre, la plupart des banques ont investi pour leur propre compte dans ces produits structurés, désireuses d’accroître la performance de leur portefeuille d’actifs. Dans le sillage de la crise, elles ont été directement exposées à la crise de liquidité touchant l’ensemble des actifs titrisés, les contraignant ainsi à d’importantes dépréciations. Parallèlement à leur exposition au marché américain, les banques britanniques sont également exposées à leur propre marché du subprime. Moins risqué que son homologue américain, celui-ci semble, pour le moment, ne

pas constituer une menace significative pour les banques de notre échantillon. Enfin, les banques britanniques ont été affectées par la crise de liquidité touchant le marché monétaire interbancaire. Cette crise s’est traduite par une forte hausse du coût de refinancement des banques dont la première victime fut Northern Rock. Aujourd’hui encore, les tensions sur le marché monétaire continuent de peser lourdement sur leurs coûts de refinancement.

A mesure que le coût final de la crise des subprimes se précise, les inquiétudes se déplacent vers la dégradation de l’environnement conjoncturel et le retournement du marché hypothécaire au Royaume-Uni. Aux dépréciations supplémentaires attendues sur les portefeuilles de produits structurés pourrait s’ajouter, à l’instar des banques américaines, une hausse du coût du risque, d’origine purement domestique cette fois-ci. Ainsi, après avoir bien résisté en 2007 – et ce malgré une forte hausse du coût du risque –, les résultats des banques

Britanniques pourraient se dégrader en 2008 et 2009.

Les banques britanniques ont bien résisté en 2007 En dépit d’une exposition significative aux marchés du subprime américain et domestique, les banques britanniques ont affiché, en 2007, des résultats en hausse.

Les banques britanniques semblent donc à l’abri d’une crise du subprime à l’américaine mais restent particulièrement exposées au marché des prêts hypothécaires en général. C’est notamment le cas de HBOS dont l’encours de crédits hypothécaires s’élève à 73,2 milliards de livres en 2006, soit 20% de la production nouvelle de prêts hypothécaires au Royaume- Uni.

La crise du subprime américain a néanmoins marqué un coup d’arrêt à la titrisation au Royaume-Uni. Entre les deuxième et troisième trimestres 2007, la valeur des actifs britanniques titrisés a été divisée par deux, passant de 41 à 21 milliards de livres.

 

Proche de la Crise de 29

 

Lorsque les premières faillites apparaissent, les établissements financiers solvables qui détiennent des titres risqués en portefeuille vont essayer de les vendre rapidement pour en tirer la plus haute valeur de liquidation possible. Ces établissements ont alors besoin de liquidités pour faire face à leurs pertes et couvrir leurs activités courantes. Ils vendent donc ces produits structurés dont la valeur de liquidation diminue à mesure que l’offre de ces produits sur le marché financier augmente. La demande pour ces produits désormais trop risqués va, de ce fait, diminuer. S’enclenche à ce moment-là un mécanisme de dominos accompagné d’une crise de confiance. Si au bout d’un certain laps de temps ces titres risqués ne trouvent plus de preneur sur le marché financier alors, les établissements financiers ne peuvent plus obtenir de liquidités Enfin, si la revente des titres risqués n’est plus possible et que les banques ne se font plus assez confiance pour se prêter de l’argent entre elles à un taux d’intérêt raisonnable, la menace d’une crise de liquidité asséchant l’ensemble du système bancaire et financier est bien présente. C’est la menace d’une telle crise de liquidité qui a fait réagir les Banques Centrales.

Une crise de liquidité peut mettre en difficulté des établissements financiers qui étaient pourtant solvables avant la crise dès lors que ces derniers ne peuvent plus faire face à leurs dettes de court terme (Lehman Brothers, AIG, Natixis,…). Le risque est que ces établissements financiers vendent leurs titres afin de trouver des liquidités. De plus, une crise de liquidité peut déboucher sur une crise systémique si elle n’est pas endiguée assez rapidement. Une crise systémique apparaît lorsque le risque porté par des acteurs financiersse transmet à l’ensemble du système  à l’intérieur et à l’extérieur d’un pays.

 

Les Banques Centrales ont donc dû agir afin d’endiguer le risque d’une crise de liquidité débouchant sur une crise systémique. Elles ont injecté des liquidités dans le système financier  Les montants injectés par la BCE et la Fed se chiffrent en centaines de milliards de dollars. Concrètement, les Banques Centrales injectent de l’argent frais  dans le système financier en rachetant les titres qui ne se vendent plus sur le marché financier en échange de liquidités. Afin de faciliter l’obtention de liquidités sur le marché interbancaire, la Banque Centrale peut aussi diminuer ses taux d’intérêts directeurs. En effet, cela permet aux banques de se prêter de l’argent entre elles en rétablissant un brin de confiance. La Fed a utilisé tour à tour ces deux moyens d’action afin d’éviter un « krach » type 1929, d’une ampleur incontrôlable. Quant à la BCE, elle n’a pas baissé ses taux directeurs.

D’un point de vue économique, le fait de sauver les acteurs défaillants du système fait naître un problème de rôle. Si les établissements financiers savent qu’ils peuvent compter sur l’intervention de la Banque Centrale lorsqu’ils ont des difficultés financières alors, rien ne les empêchera de prendre des risques à l’avenir. En d’autres termes, la même erreur peut se répéter dans le temps puisque il n’y a pas de réelle sanction exercée sur les acteurs défaillants.

En fait, c’est l’économie tout entière qui va assumer les risques pris par une partie des acteurs du système financier. Les ménages américains qui peuvent perdre le bien immobilier pour lequel ils se sont surendettés sont les premiers touchés. Des travailleurs américains ont perdu leur emploi et les investisseurs ont perdu des sommes importantes sur les marchés mondiaux. C'est au politique et aux organisations internationales de "réguler et réglementer" les marchés financiers à l'avenir.

Les Banques Européennes

Les déboires de Lehman et d’AIG ont des allures de bombes à retardement. Plus de 70% des dérivés du crédit vendus par AIG ont été souscrits par des établissements européens, soit environ  307 milliards seraient actuellement dans le comptes des banques européennes, selon le Financial News. Le prêt d’urgence accordé par la Réserve Fédérale devrait néanmoins stabiliser la situation à court terme. Quant à Lehman, les établissements français ont démontré qu’ils étaient modérément exposés.

 

Le cas français de Natixis – Caisse d’Epargne

 

Fin 2006, près de 3 millions de particuliers achètent des actions de Natixis, la banque de gros issue de la fusion des activités de banque d'investissement des Caisses d'Epargne et des Banques Populaires. Mais la désillusion sera cruelle. Frappée de plein fouet par la crise du « subprime », la société accuse de lourdes pertes. Et entame une inexorable plongée en Bourse. Retour sur une descente aux enfers.

 

Natixis sera parmi les 15 premières capitalisations françaises. » Nous sommes à l'automne 2006. Le projet de création de Natixis n'a que quelques mois. Mais Philippe Dupont, patron des Banques Populaires, fanfaronne déjà. Moins de deux ans plus tard, le cours de la banque de gros de l'Ecureuil et des Banques Populaires a fondu de 80 %. Et les 3 millions de particuliers qui ont acheté des actions en sont pour leurs frais. A commencer par les clients des Caisses d'Epargne et des Banques Populaires, les plus sollicités. Pis, ils doivent désormais acheter à prix cassé des titres Natixis pour ne pas être dilués. Pourtant, sur le papier, la création de Natixis avait tout pour plaire...

 

14 mars 2006 « Natixis sera extrêmement créateur de valeur » Charles Milhaud, dans « Les Echos »

 

A l'origine de Natixis, il y a deux hommes. Philippe Dupont et Charles Milhaud. Le premier, président des Banques Populaires, souhaite que sa banque mutualiste joue dans la cour des grands. Le second, président des Caisses d'Epargne, veut à tout prix défaire son groupe de la tutelle de son actionnaire historique, la Caisse des Dépôts (CDC). L'idée d'un rapprochement des deux groupes mutualistes a déjà été évoquée à plusieurs reprises par le passé. Mais, cette fois, le temps presse car l'Ecureuil a mis en chantier un projet de cotation. La fenêtre de tir se réduit. Les discussions commencent en janvier 2006.

 

Très vite, les intérêts des deux groupes s'alignent. Ils s'accordent pour fusionner leurs deux banques d'investissement : Ixis, pour l'Ecureuil, et Natexis, la filiale cotée des Banques Populaires. La banque ainsi créée hérite aussi d'activités de gestion d'actifs, de services avec la Coface ou de capital-investissement. Elle doit être cotée afin de pouvoir faire appel au marché pour d'éventuels projets de développement. Ce montage présente l'avantage de ne pas toucher aux deux réseaux de détail, qui ne sont pas encore mûrs pour le mariage. Mais l'idée est dans toutes les têtes. « Nos deux groupes prennent un ticket aller sans retour», constate alors Philippe Dupont.

 

Fin novembre, une fois levées les réticences de la CDC, la création de Natixis est fêtée dans l'euphorie. La cotation réalisée en décembre 2006 permet de récolter 5 milliards d'euros. A 19,55 euros l'action (soit 12,71 euros après le réajustement de cours intervenu le 5 septembre), l'opération est alors saluée comme un succès. La demande des investisseurs institutionnels est quatre fois supérieure aux attentes. Mieux, près de 3 millions de particuliers achètent des titres. Les analystes sont enthousiastes. Mais le plus dur reste à faire.

 

14 novembre 2006 « Nos concurrents ont du souci à se faire » Philippe Dupont, dans « Le Monde »

 

Dominique Ferrero, ex-numéro deux du Crédit Lyonnais nommé directeur général de Natixis au printemps 2006, doit maintenant s'atteler au délicat chantier de l'intégration. Il doit construire un modèle de banque d'investissement, avec deux actionnaires concurrents, le tout dans une structure cotée. Et éviter que Natixis ne ressemble à un mille-feuille. Plusieurs processus de fusion ont en effet déjà eu lieu en interne. Natexis est issu du rapprochement du Crédit National avec la BFCE, tandis qu'Ixis, à l'origine filiale de la Caisse des Dépôts, a changé d'actionnaire en 2003, pour passer dans le giron de l'Ecureuil.

 

Mais, rapidement, la politique prend le dessus. Les « bleus » de Natexis et les « rouges » d'Ixis ont d'autant plus de mal à se mélanger que leurs cultures sont différentes. Les premiers sont des banquiers de financement habitués à utiliser leur bilan pour prendre des gros tickets dans des opérations relativement peu risquées. Les seconds ont hérité de la culture très entrepreneuriale d'Ixis, centrée sur des activités de marché sophistiquées. L'arrivée de Dominique Ferrero a adjoint une troisième couche : celle des anciens du Crédit Lyonnais. La genèse d'une culture commune est laborieuse. Aujourd'hui encore, « les lignes de discussions internes reflètent ces différentes strates, affirme une source interne. Natixis n'est pas une entreprise mais une collection d'entreprises agrégées. C'est comme de l'eau et de l'huile qui ne se mélangent pas. »

 

Autre difficulté : la gouvernance. Philippe Dupont, président des Banques Populaires, est aussi président du directoire de Natixis, un poste exécutif. Cette « double casquette », voulue par les deux actionnaires, doit durer six ans. Mais elle complique rapidement la situation. L'Ecureuil accuse Philippe Dupont d'avoir été averti plus tôt que lui des difficultés de Natixis dans le « subprime » et de n'avoir pas fait remonter l'information. De son côté, pris en tenaille entre ses deux actionnaires, Dominique Ferrero n'a pas les coudées franches et tarde à faire les arbitrages nécessaires. « Le groupe s'est organisé autour de la non-décision, ironise une source proche. Il y a beaucoup trop de contre-pouvoirs et de gens qui doivent donner leur avis. »

 

6 août 2007 « Le «subprime» est pour nous une affaire de portée limitée » Dominique Ferrero, dans « Les Echos »

 

Le groupe, alors en plein processus de fusion, est pris de court par les premiers symptômes du « subprime » américain. Et amorce sa descente aux enfers en Bourse. Entre mars et août 2007, le cours perd près de 30 % de sa valeur, pour atteindre un peu plus de 13 euros début août. Comme les événements le révéleront plus tard, Natixis a un portefeuille chargé de produits « toxiques », constitué récemment. « Les plus grosses pertes proviennent de produits entrés dans les livres de Natixis après le premier semestre 2007, soit après sa création », note un bon connaisseur du groupe. Surtout, Natixis prend de plein fouet la débâcle du rehausseur de crédit américain CIFG, hérité d'Ixis. Au point que ses deux actionnaires doivent recapitaliser ce « mouton noir » à hauteur de 1 milliard d'euros à l'automne 2007 avant de le sortir du périmètre de Natixis pour le contrôler en direct. L'objectif est de soulager le titre, massacré par les investisseurs. Mais ce sauvetage en urgence ne suffit pas. Pour son premier anniversaire, Natixis annonce ses premières pertes. Et, à fin mars 2008, le « subprime » lui a déjà coûté près de 2 milliards d'euros en dépréciations et provisions diverses.

 

Les dirigeants en profitent pour faire place nette. Anthony Orsatelli, le patron de la banque d'investissement et figure historique d'Ixis, est remercié. On lui reproche d'avoir bloqué la vente de CIFG envisagée fin 2006 alors qu'un acheteur américain était intéressé. Jean-Pascal Beaufret, ancien directeur financier d'Alcatel, présenté comme un coupeur de coûts, fait son entrée au directoire. La banque, qui veut économiser 400 millions d'euros par an, décide de supprimer 1.100 postes, dont 850 en France.

 

29 août 2008 « Il est impossible de prévoir la durée du ralentissement actuel » Dominique Ferrero, dans « Le Figaro »

 

Mais le pire est à venir. Au printemps 2008, la deuxième vague de la crise de l'immobilier résidentiel américain et la déroute des rehausseurs de crédit alourdissent encore la facture. Entre avril et juin, Natixis doit encore provisionner 1,5 milliard d'euros.

 

Fin juin, inquiète pour la solvabilité de la banque, l'agence Standard & Poor's déclasse sa note. Il devient de plus en plus clair que Natixis va devoir trouver de l'argent frais. Les Caisses d'Epargne et les Banques Populaires ont déjà accordé à leur filiale deux avances d'actionnaire, pour 2,5 milliards d'euros. Mais la pression reste forte et l'action végète autour de 5 euros. Natixis doit se résoudre à une augmentation de capital de 3,7 milliards d'euros, un montant énorme alors que plusieurs grandes banques peinent à lever des fonds. Les deux grands actionnaires acceptent de la garantir, renonçant de fait à récupérer leurs avances. Même dans ces conditions, la partie est loin d'être gagnée. Natixis doit encore trouver 1,2 milliard d'euros.

 

Discrètement, des contacts sont pris avec des grands investisseurs, notamment avec des fonds souverains, dont le singapourien Temasek. Philippe Dupont se rend même personnellement au siège de la Caisse des Dépôts, rue de Lille, pour convaincre son directeur général de participer au projet. Une petite revanche pour l'établissement public, deux ans à peine après le divorce fracassant avec l'Ecureuil...

 

8 septembre 2008 « On ne va pas changer pour changer » Charles Milhaud, dans « Les Echos »

 

A la veille du lancement de l'opération, le prix des nouvelles actions est arrêté à 2,25 euros. C'est 4 fois moins que la valeur d'actif net de Natixis, 8 fois moins que le prix du placement de décembre 2006... Il sera créé plus de titres qu'il n'en existe déjà sur le marché. Des associations de défense des minoritaires se saisissent du dossier. Mais si les petits actionnaires ne décolèrent pas, leur voix porte peu. Un fonds activiste, Greenlight Capital, juge l'opération beaucoup trop destructrice de valeur et plaide pour des arbitrages d'actifs. Mais les dirigeants de Natixis et ses deux actionnaires mutualistes ne l'entendent pas de cette oreille. Ils sont persuadés que le modèle du groupe doit être préservé à tout prix et que le marché finira par leur donner raison.

 

Un nouveau plan stratégique est élaboré, qui remet l'accent sur les métiers dégageant des profits stables et récurrents comme le financement, la gestion d'actifs ou les services, au détriment des activités de marché. Un plan a minima qui n'enthousiasme pas les investisseurs, à en juger par l'évolution du cours.

 

Dans un entretien aux « Echos », les deux actionnaires affichaient récemment leur cohésion. Rarement, pourtant, la perspective d'un rapprochement plus étroit entre les Caisses d'Epargne et les Banques Populaires n'a paru si éloignée. « Natixis a laissé des traces trop douloureuses », lâche le patron d'une Caisse d'Epargne.

 

Sources :

“Les Echos” ; “Le Monde”; “La Tribune”

Interviews auprès de Natixis et Caisse d’Epargne

Site Internet

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